Marionnette

- Atelier d’écriture/illustration du 30 mars –
Trame : La marionnette.

« Elle est dans le carton avec le reste, repars avec. Moi, j’en veux pas ! J’aime pas ces trucs-là ! »
Pfff… La frangine, elle pinaille.
J’avais qu’ ça à faire, tiens… Déjà qu’il avait fallu débarrasser rapidement le grenier plus que rempli avant la visite, au dernier moment… Pffff… Bref, ça m’emmerde.
J’ai dû rentrer chez moi avec des cartons pleins de tout et de rien. Dont ce truc-là. Ce truc hideux. Je vais en faire quoi, moi ?
Tiens, je pourrais m’en servir pour faire chier ma gonzesse. Placer l’immondice pile à côté du pieu. Je me marre rien qu’à l’idée : Elle se réveillerait, sortirait de ses jolies songes et… Bim ! Se retrouverait nez à nez avec une marionnette super flippante qui la fixerait de ses non-yeux vides. De quoi faire un bond bien comme il faut.
Je m’en frotte les mains.
Il est où ce truc-là ? Sûrement au fond du carton, entre les vieux bouquins, les cendars en cristal et autres vieilles récupérations poussiéreuses de chez le vieux.
Ah ! La voilà ! Ses fils sont tous noués… Autour de son cou.
On dirait un pendu.
Elle est vraiment moche.
Et VRAIMENT flippante. Quand même. C’est parfait.
Ça la rend presque… intéressante. Voir fascinante. En fait.
Il est complètement dingue son regard de néant, là : Deux billes vides, à la fois présentes et absentes. Clairement, si un jour elle a connu un semblant de vitalité, cette marionnette, je suis en présence de son cadavre.
Une dépouille de pantin. Merde, quel cadeau !
Mais elle me regarde, en plus ! Elle ne peut pas normalement : elle est morte ! Mais vraiment, on dirait !
Et puis, ses fils là, ils sont serrés fort sous sa tête. Je peux pas dénouer !
Je suis pressé… Mais, rien à faire, je ne peux pas me résoudre à abandonner ma blague.
Histoire que cette journée ne soit pas complètement paumée et vide, quoi. Et je vais pas la laisser pendue, comme ça, ma pauvre dépouille-amie.
Madame ne va plus trop tarder maintenant, faut que je me presse un peu, je dénoue et ricane de ma connerie.
Mais ? … Y’a quelqu’un ??? Chériiiiie ???
Ah non, je délire moi ! J’ai cru entendre un ricanement répondre au mien dis donc !
Suis crevé j’crois.

« OOoooh BOOORDELLL C’EST QUOI CA ???!!! »
Ah ah ! Je l’ai bien eu ma bru.
Bim.
Au jeu du qui-fait-le-plus-chier-l’autre, elle excelle, mais là, j’ai pas mal joué !
J’ai la victoire euphorique.
Bon, ok, son cri m’a réveillé aussi, en sursaut, j’avais pas pensé à ce détail. J’ai le palpitant affolé mais je ne lui montrerai pas. Vais rester hilare, c’est mieux.
« T’es con ! Pourquoi tu as mis cette chose dans le pieu ! »
Dans le pieu ?
Bin non, je l’avais mise au pied de sa table de chevet.
Je me retourne et oui, effectivement, elle est juste là, entre nous.
La tête tournée… vers moi. Avec son sourire figé, légèrement pétillant et plus vivant qu’hier.
J’avais pas remarqué, en dénouant ses fils, qu’elle avait la caboche amovible… Et justement, les fils, ils sont de nouveau tout autour.
C’est quoi ce bordel, qu’est-ce qu’elle fout là ?
Ça me plait moyen… Mais après réflexion, une fois mes neurones décollés du sommeil, j’ai bien capté la blague : ma meuf essaye de me faire le coup de l’arroseur arrosé.
Je ne vais sûrement pas lui laisser cette joie et vais rester poker face.
Je vais finir à la bourre, zou la marionnette, tu retournes dans ton carton, je te triple scotch tout ça histoire qu’on t’oublie, mocheté, et je file.

« MAIS MERDEUUUUUH ! CA VA QUOIIII ! T’ES LOURD ! »
De ?
Hein ?
Quoi ?
Il est quelle heure ?
Pourquoi elle crie, l’autre, en pleine nuit, elle est timbrée ou quoi ?
Mais… Mais qu’est-ce qu’elle fout là, elle ?
Pfff, n’importe quoi, ma nana, elle a tellement pas d’imagination que pour se venger, elle recycle mes diableries. Zéro personnalité.
Et elle ose me tenir mordicus que ce n’est pas elle.
Mouais, genre, la marionnette, là, elle a défoncé le scotch avec ses ptits ongles de bois, pour venir se nicher entre nous dans le lit ? A d’autres !
Ça va, quoi, les meilleures blagues sont les plus courtes, l’humour de répétition, ça marche pas à tous les coups, surtout quand ça se fait avec des cris, en pleine nuit.
C’est bon, toi, la chose, tu finis à la poubelle. Vraiment, je suis mal à l’aise avec ta bobine de vide et tes fils enroulés là. Et je te sens. Je ne comprends pas pourquoi, je la sens, ta présence. Tu es imposante alors que tu es de bois mort. C’est trop bizarre.
Je vais avoir un mal de chien à me rendormir, c’est malin. En plus, on doit se coucher tard demain soir, c’est apéro chez la frangine…
Tiens… J’ai une idée ! Moi aussi je vais jouer à la recyclerie clownesque ! Hey, pantin ! Tu échappes aux déchets ! Demain, tu viens prendre l’apéro avec nous !
Je ricane encore… Et ma complice aussi.

On les a bien eu, hein ? Quelle équipe !
Tous, les uns après les autres : la frangine, le reste de la famille, les potes, et puis les potes de potes, les voisins,… Ils ont tous eu une bonne flipette.
Et chaque matin, ma mocheté préférée, je te retrouve dans mon lit. A la place de l’autre, là, qui s’est barré.
Et on ricane.
Les autres, ils n’ont pas vraiment d’humour, ils ne nous comprennent pas. Même ils pensent que j’ai déraillé, que j’ai complètement vrillé. A m’envoyer de grands gorilles en blanc pour m’enfermer ici. Comme si la chemise qui me noue les bras dans le dos, ça pouvait nous arrêter. J’ai les bras aussi noués que ton fils-collier, on se ressemble de plus en plus, tous les deux.
Ils m’ont pas laissé t’embarquer, les gorilles, ils pensent que tu es la base de mon problème, vu qu’ils disent que je m’insinue chez les gens avec toi sous le bras.
Ils n’ont pas compris que c’est moi ta marionnette. Que nous sommes inséparables.
C’était drôle, ce matin, la tête qu’ils ont fait quand ils m’ont trouvé avec toi, dans notre cellule capitonnée, nos bras noués dans le dos et ton fil autour de nos cous.

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