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Insensibilise

INSENSIBILISE

 

 

Au début, je pensais que j'étais juste venue pour passer le temps.
Prendre l'air, sortir un peu, voir du monde...
Mais quand, derrière le comptoir, essuyant négligemment un verre,
le patron du bar m'a lancé sans même me jeter un coup d'œil:
" Alors ma jolie, c'est quoi ton poison ?"
J'ai compris.

Ce mot-là, "poison", son trait d'humour,
il m'a résonné jusqu'à l'inconscient et, au passage,
a bien tout bousculé en surface.
Mais bien sûr, je voulais foncièrement m'empoisonner.
J'en ressentais même complètement le besoin.

Du plus profond de mes tripes.

C'est exactement ce que j'étais venue chercher.

"Hey Chef !
Sers-moi ce que tu as de plus fort !
Drogue-moi !
Oui, empoisonne-moi !
S'il te plait !

Pitié...

Aujourd'hui, je suis fatiguée.
Vraiment.
A force de chercher l'intense,
de me battre pour trouver du joli et le distribuer,
d'aimer trop fort,
je m'épuise et m'assèche.

Je ne veux plus courir après l'ivresse.
Il me faut du qui me chauffe sans pétiller.
Donne-moi l'anesthésiant qui brûle l'intérieur,
cautérise là où personne n'arrive à vraiment m’enflammer.

Endors-moi le temps d'une pause.
Que de tout mon poids j'étouffe ton comptoir
et que j'y dépose mon trop plein de tout
accumulé bêtement.

Sers-moi le poison transparent.
Celui qui diluera la saturation exagérée des couleurs
que je m'acharne à placer dans ma vie.
Je n'en peux plus de ce manège arc-en-ciel,
il me file le vertige.

Du spiritueux pour passer l'orage.
J'aime fort l'orage mais là, tout de suite, je n'en veux plus.
J'aurai davantage besoin de sa couverture nuageuse
pour m'y rouler, y disparaitre.
Cocon.

File-moi du toxique,
ça accélère la combustion des bouts de chandelle.
Et oui, qu'est-ce que tu crois ?
C'est bien beau de mordre la vie à pleine dent,
mais ça la raccourcit.

Quand la quantité est ennuyeuse,
la qualité est épuisante.

Oh Tavernier !
Abrutis-moi de venin !
Place-moi dans une case,
que je m'y cache, sagement invisible.
Mets-moi dans un coin.
Eteins la lumière.
Oublie-moi.
Et, juste pour aujourd'hui,
je t'en supplie,
Fais que je m'oublie aussi.
"

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